TocCyclopédie ■ Époques

Marcus Daly, un jeune pianiste américain résidant dans une ville italienne, est témoin du meurtre de Helga Ulman, une médium. Peu avant sa mort, elle prétendait avoir eu la vision très précise d'un meurtre commis des années auparavant...



Après son troisième giallo, Quatre mouches de velours gris (1971), Dario Argento (Suspiria (1977)...) a réalisé Cinq jours de révolution (1973), une comédie historique restituant d'une façon acide et désenchantée les évènements du Risorgimento italien qui se sont déroulés à la fin du XIXème siècle. Malgré ses grandes qualités, cette oeuvre est un échec commercial, et Argento revient vite au thriller avec Les Frissons de l'angoisse. Pour le scénario de ce film, il collabore avec Bernardino Zapponi, surtout connu pour les scripts à la narration audacieuse qu'il a écrits pour Frederico Fellini : Satyricon (1969), le superbe Les clowns (1971), Fellini Roma (1972)... Le personnage principal est incarné par David Hemmings, devenu célèbre après avoir tenu un rôle assez semblable dans Blow up (1966) de Michelangelo Antonioni. On y trouve aussi Macha Méril (Belle de jour (1967) de Luis Bunuel, Roulette chinoise (1976) de Rainer Werner Fassbinder...) et Clara Calamai (Les amants diaboliques (1942) et Nuits blanches (1957) de Luchino Visconti...).
En France, Les frissons de l'angoisse a toujours été présenté dans des versions tronqués. Dans les pays anglo-saxons, il a aussi été proposé dans des versions remontées sans l'autorisation de son auteur. Mais, récemment, grâce à la redécouverte de l'oeuvre d'Argento, notamment grâce à l'admiration affichée par son fan Quentin Tarantino (Pulp fiction (1994)...), et grâce au développement de formats comme le laserdisc et le DVD, Les frissons de l'angoisse est devenu disponible dans sa version intégrale.

Les frissons de l'angoisse a été, pour Argento, l'occasion de deux rencontres décisives. D'abord, le scénariste Bernardino Zapponi lui présente l'actrice Daria Nicolodi (Les démons de la nuit (1977) de Mario Bava, Scarlet Diva (2000) d'Asia Argento...) : elle deviendra sa compagne et la mère de sa fille Asia Argento. Elle participera aussi à l'écriture de certains scénarios (Suspiria, Inferno (1980)...) et jouera dans plusieurs de ses films : Les frissons de l'angoisse, Inferno, Ténèbres (1982), Phenomena (1985) et Terreur à l'opéra (1987).

D'autre part, pour la musique de Les frissons de l'angoisse, Argento fait d'abord appel au compositeur Giorgio Glaslini : mais le résultat ne le satisfait pas. Daria Nicolodi lui fait alors rencontrer les jeunes membres d'un groupe de rock progressif italien appelé Cherry Five. Ils écrivent alors une musique énergique, angoissante et très efficace, qui colle à merveille au film. Ils se font dès lors appelé Goblin, et le disque de Les frissons de l'angoisse est un énorme succès en Italie. Les membres de ce groupe travailleront régulièrement, ensemble ou séparément, sur des projets liés à Argento : Suspiria, Ténèbres, son récent Le sang des innocents (2001), Zombie (1978) qu'il produit pour George Romero...

Les frissons de l'angoisse est donc à nouveau un giallo, c'est à dire ce genre de thriller italien très violent, mis au point notamment par Mario Bava (Six femmes pour l'assassin (1964)...) et popularisé par Argento avec L'oiseau au plumage de cristal (1970). On retrouve donc les éléments traditionnels de ce genre : les meurtres y sont brutaux et imaginatifs, un assassin maniaque, amateurs de vêtements en cuir et d'armes blanches, assassine régulièrement ses victimes pendant que la police peine à trouver des indices... On retrouve aussi des éléments communs à La fille qui en savait trop (1963) de Mario Bava et L'oiseau au plumage de cristal : ainsi Marcus est un touriste un peu perdu en Italie, témoin d'un meurtre et menant, sans consulter la police, sa propre enquête. Comme dans L'oiseau au plumage de cristal ou Suspiria, il cherche, de manière obsessionnel, à retrouver un détail étrange qui lui a échappé pendant le crime auquel il a assisté. Encore une fois, Argento va nous démontrer que ce personnage et le spectateur ont été victime des apparences trompeuses. Mais, ici, une seconde scène doit être reconstituée : c'est l'assassinat, commis des années auparavant, que la médium a vu dans une transe avant qu'on ne la tue. La richesse de la construction de ce film et la réussite de son récit policier reposent donc sur l'imbrication étroite et habile de ces deux enquêtes.

Pourtant, dans le terrible dernier plan du film, qui sert de fond au générique de fin, Argento souligne l'absurdité des recherches de Marcus. En effet, à cause de sa quête obsessionnelle et presque morbide de la vérité, il va mettre en danger ses proches et révéler des secrets qu'il aurait peut-être mieux valu laisser cachés. En effet, c'est la seule progression de l'enquête de Marcus qui va forcer le tueur, soucieux de se protéger, à commettre meurtre sur meurtre : à aucun moment, il ne tuera pour le plaisir ou par sadisme.

Comme dans L'oiseau au plumage de cristal, et surtout Le syndrome de Stendhal (1996), on retrouve aussi une fascination morbide pour l'ambiguïté de la création artistique. Comme souvent chez Argento, les personnages principaux exercent des professions artistiques (on rencontre des musiciens et des acteurs...). D'autre part, l'appartement dans lequel Helga est assassinée est orné de peintures sinistres représentant de terribles spectres : un de ces tableaux va se révéler être un indice-clé dans cette enquête. De même, d'étranges dessins d'enfant seront des pistes très importantes. De son côté, l'assassin semble avoir besoin de certains rituels pour commettre son meurtre : ainsi il doit entendre une musique particulière, lié à un traumatisme ancien, et manipuler des jouets étranges pour se préparer à accomplir ses actes les plus violents.

Ce qui frappe le plus dans Les frissons de l'angoisse, c'est que le cinéma d'Argento semble s'orienter de plus en plus vers le lépouvante traditionnelle. On remarque ainsi des éléments plus proche du genre fantastique que de la littérature policière : une médium est capable de lire les pensées des personnes ; on visite une maison hantée à l'allure Art Nouveau angoissante ; certains meurtres sont très étranges, presque poétiques dans leur exécution (la marionnette...) ; une fillette au comportement ambiguë évoque plus le film d'horreur Les innocents (1961) de Jack Clayton que les thrillers traditionnels. Les meurtres sont extrêmement gore et brutaux, beaucoup plus que dans les œuvres précédents de Dario Argento. Tout cela semble donc annoncer le tournant décisif de ce réalisateur vers un cinéma d'horreur pure, qui ne contiendra de moins en moins de référence au thriller, avec Suspiria.

La réalisation du film, très expérimentale et originale, participe à son atmosphère fantastique. Par exemple, lors de la longue exploration de la maison hantée par Marcus, Argento utilise un découpage très rapide, hachée, ayant souvent recours à l'elipse, qui imprime à cette séquence une sensation de frénésie impressionnante : combinée avec des éclairages audacieux (annonçant Suspiria) et avec l'architecture singulière du bâtiment, cela donne une évidente tonalité cauchemardesque à ce passage. L'emploi singulier de couleurs saturées et irréelles tout au long du film ajoute encore beaucoup à son ambiance fantastique (comme dans certaines œuvres de Mario Bava : Six femmes pour l'assassin ou Lisa et le diable (1974)...). Enfin Argento s'inspire aussi de peintres célèbres (Edward Hooper et De Chirico par exemple) pour créer l'atmosphère singulère de la ville où sont commis les meurtres.

C'est pendant les meurtres qu'Argento déploie une virtuosité technique et un sens de l'innovation très impressionnants. Il utilise des mouvements de caméra nerveux et étranges, qui bondissent parfois littéralement à travers les l'espace (la tentative de meurtre sur Marcus...). Par moment, ces travellings virevoltants nous mettent littéralement à la place du tueur, à travers le procédé de la caméra subjective. Dans certains plans particulièrement bizarres, la caméra se déplace comme si elle était à la place d'une présence menaçante que les protagonistes du film ne voient jamais, et qui n'intervient pas dans l'histoire (on retrouvera ce procédé singulier dans Inferno) !

Enfin, la violence des meurtres est encore rendue par l'emploi abondant de gros plans restituant méticuleusement la brutalité de l'assassin et les souffrances des victimes. Argento ne rate jamais une occasion de filmer en très gros plan une lame qui s'enfonce dans la chair humaine ou un choc violent : le réalisme maniaque avec lequel sont évoquées ces scènes font de Les frissons de l'angoisse une date incontournable du cinéma gore. Les gros plans réalisés avec une "Snorkel" (caméra miniature proche des sondes endocopiques) vont aussi servir à filmer de très près des petits objets (jouets, cellule de tourne-disque...), ce qui leur confère une présence monumentale et très étrange.

Ce film est donc un tournant très important dans la carrière de Dario Argento.Il annonce la transition de son oeuvre vers un fantastique plus pur d'une part ; et il inaugure les innovations narratives et techniques très audacieuses de ces œuvres suivantes d'autre part. Pourtant, on peut tout de même lui reprocher de se traîner un peu trop dans sa première heure. Les frissons de l'angoisse reste néanmoins une des plus belles réussites de son auteur.

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Profondo Rosso
■ Fab 23/02/2005
Faudra qu'on m'explique le titre français du film. Il est débile ! Le titre original (et anglais : Deep Red) est beaucoup plus évocateur et du coup l'inscription au début du générique de fin ("Vous venez de voir Rouge Profond"), dans la tache de sang dans laquelle se reflète le visage de David Hemmings, est beaucoup plus cynique. De plus le "Profond" est très significatif car David Hemmings voit en 2D là où il faut voir de la profondeur... (ceux qui ont vu le film me comprendront, les autres, regardez le ! )

Bon, je m'égare là... Ce film est un pur bijou : entre la réalisation exemplaire, le scénario (sorte de continuation du Blow-Up d'Antonioni avec David Hemmings justement), la musique spé des Goblins, les décors (fortement inspiré par une toile métaphysique de Chirico pour ceux qui sont urbains), l'humour,... les qualités sont nombreuses et le plaisir et là. En parlant de plaisir, j'aime particulièrement comment David Hemmings se fait mener en bateau durant son enquête.

Bref, un film qui fait du bien surtout à l'époque où il est sorti (1975 : année noir du cinéma italien).
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Merci à Monsieur Sandy Petersen !
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